Conférence à Romotantin le 7 Décembre 2007: Consommateur et/ou citoyen ?
Aujourd’hui, ne sommes nous que des travailleurs et des consommateurs? Ou devons nous reconquérir notre liberté de citoyen? Et les mesures engagées par notre président de la République n’accentuent-elles pas cette réduction du citoyen à un individu, qui n’a comme droit et devoir que de « travailler plus pour produire plus » ? Parallèlement, notre président, en véritable PDG de sa politique, nous dit d’un ton sans appel: « pour le reste, je m’occupe de vous ». Et son action crée ainsi des individus, libérés de tout sentiment de solidarité! Ainsi, tout est fait pour valoriser à la fois la promotion au mérite pour « celui qui intègre la culture d’entreprise » sous l’emprise du capital et une consommation différenciée pour satisfaire en toutes circonstances le goût du client : « La liberté individuelle, très particulièrement celle du choix et de la consommation, est sœur de la sujétion économique » Et l’Etat est progressivement démantelé : l’école n’est plus un ascenseur social; le chômage et l’insécurité s’étendent ; la solidarité syndicale ne mobilise plus d’adhérents . L’individualisme va t’il tout emporter des anciennes libertés? Face à la mondialisation néo libérale, qui détruit les conquêtes sociales et une planète habitable, quel projet inventer pour « faire société » ? Les «néo libéraux » disposent d’un projet mondial : le Consensus de Washington ; et ils s’affichent comme les promoteurs d’une démocratie formelle, qu’ils s’efforcent d’étendre partout, de gré ou de force, pour élargir le champ d’un marché libre-échangiste et dominateur. Alors, comment faire valoir le Droit pour tous ?
Dans ce contexte politique général, je m’intéresserai, ici, aux liens existant et à recréer entre démocratie et économie pour approcher des solutions à nos questions.
D’abord, sommes-nous encore dans une société de citoyens, qui se gouvernent solidairement, ou dans un « magma » d’individus, tellement déterminés par leurs conditions de travail et de consommation, qu’ils s’atomisent et en arrivent à « vivre », souvent dans l’angoisse, en espérant « se tirer d’affaire » tout seuls? Et le système « Sarkozy » n’entretient il pas cette manière de penser et d’exister ? Des slogans de campagne présidentielle, une manière de gouverner et des orientations politiques confortent cette atomisation des comportements : « quand on veut, on peut », « à chacun selon ses efforts », « vous n’avez pas besoin qu’on vous tende la main » … et cela se prolonge par des mesures : moins d’impôts progressifs sur les revenus (les plus justes) et plus de taxes, égales pour tous, sur la consommation (les moins justes si l’on pense au projet de TVA dite « sociale ») ; des « franchises médicales », qui valorisent le choix du risque individuel plutôt que de la solidarité collective ; la tentative d’imposer un système de décotes pour les retraites, qui poussent les salariés à se prémunir individuellement d’insuffisances de revenus, qui résulteront des « manques à gagner » ; mise en concurrence des services publics de marché ; mise en œuvre de plans, qui gèrent les hôpitaux ou les tribunaux comme des entreprises ; assouplissement de la carte scolaire plaçant peu à peu les établissements en concurrence ; augmentation des « partenariats public-privé » dans la formation et la recherche, qui remplacent la responsabilité de la collectivité citoyenne par celle d’entreprises privées visant des intérêts particuliers ; valorisation du pouvoir personnel ; dans les relations internationales enfin, relation privilégiée développée en faveur du pays le plus réputé pour la valorisation de l’individu. Et tout ceci sur fond de peur continue des travailleurs impuissants face aux marché et au pouvoir invisible mais réel de multinationales, qui tirent parti du système néo-libéral. Depuis la fin de la décennie 70 en effet, les multinationales ont tissé leur toile pour concentrer le capital et détruire les conditions de solidarité des travailleurs ; dans chaque secteur d’activité (agro-alimentaire ; aéronautique ; téléphonie ; informatique…), à coups de fusions – acquisitions, de division du travail entre entreprises de 1° niveau et entreprises sous-traitantes, s’accompagnant à chaque fois de licenciements, souvent de délocalisations et de recrutement de personnels à statut précaires, elles ont accru démesurément leur pouvoir financier, elles ont éloigné les centres de décision des sites de production, elles ont cassé les concentrations ouvrières et individualisé les modalités de travail rendant plus difficile l’action syndicale ; désormais, le travailleur est de plus en plus seul et livré à l’arbitraire d’un pouvoir anonyme, qui s’est doté d’un personnel d’encadrement bien payé, qui lui sert de relais pour conduire un management de plus en plus asservissant. .
Ces exemples ne nous montrent-ils pas que ce qui importe aujourd’hui au « politique », qui se dit « moderne » parce que libéral, c’est, comme l’entreprise sait le faire, à partir d’une approche individuelle des problèmes posés, le choix d’une atomisation des relations humaines pour mieux les maîtriser?
C’est dans ce contexte qu’il faut chercher un projet alternatif de société, politique et économique ; face au modèle existant, qui se dit unique, il faut trouver des alternatives, mêmes partielles si l’on considère qu’elles exigent du temps pour s’affirmer et se coordonner à partir d’idées à concrétiser ou d’expériences, dont il faut démonter la fiabilité si elles sont généralisées : « démocratie et budgets participatifs » (à Porto Alegre), coopératives ouvrières autogérées , économies solidaires entre producteurs et consommateurs . D’un côté prévaut la solution individuelle et autoritaire, de l’autre la décision partagée entre les pouvoirs et les acteurs. En sachant, bien sûr, qu’il n’est pas question de remettre en question « l’individuation », qui est un progrès social ! Alors, s’agit-il d’emblée d’inventer une idéologie, mettant en cohérence économie et politique ? Ou d’engagements multiples mais de mieux en mieux coordonnés, qui, parce que porteurs de perspectives, attirent les individus atomisés aujourd’hui et leur rendent l’envie du risque et du combat pour « faire bouger les lignes » de cette société, comme en Amazonie les « sans terre » reconquièrent celles qu’ils ont perdues au profit des « latifundia » des gros propriétaires ?
Alors, pour y arriver, peut-on en rester à un « anti-libéralisme » ? Peut-on se contenter de lister un ensemble de réformes souhaitables et les proposer aux citoyens lors d’une campagne électorale? (l’égalité effective « hommes-femmes » sur le plan salarial comme dans la représentation politique ; l’établissement de formes de pouvoir réel des travailleurs dans l’entreprise; la transformation d’un certain nombre d’entreprises clefs, qui ne seraient pas « re-nationalisées » mais rendues à un pouvoir tripartite « travailleurs-Etat-citoyens » ; des services publics sortis du marché concurrentiel ; la représentation proportionnelle dans les assemblées élues ; le non cumul effectif des mandats ; une autre république qui donne de vrais pouvoirs au Parlement…) et je pourrais continuer une liste, qui a inspiré le Manifeste d’ATTAC comme les programmes anti libéraux de la dernière « présidentielle », qui, pourtant, n’ont pas changé la donne. Et leur échec n’est-il dû qu’à la présentation multiple des mêmes propositions?
A défaut de solutions toutes prêtes (que tout le monde cherche), pour faire passer l’individu atomisé au citoyen revendiquant un pouvoir dans la société, ne peut-on pas poser ici quelques principes d’action:
- (1) économie et démocratie doivent s’articuler mais qui, de l’un, prévaut sur l’autre ? Pour faire du neuf, il faut quitter la « logique économiste » du capitalisme ; et, pour sortir de cette logique, il faut que la démocratie l’emporte sur l’économie ; nous sommes alors dans un « extérieur du capitalisme » . Comme l’écrit Yves Salesse, « la démocratisation, c’est la socialisation de la politique » . Alors, nous réinventons la culture du débat ; elle prend en compte l’opinion du contradicteur, car, en démocratie, l’expertise peut être partagée puisque la citoyenneté est l’égalité du droit de tous. Si « la démocratie socialise la politique », elle n’élimine pas l’économie mais elle fonde une nouvelle pratique de la politique. Tout est soumis à une politique pour produire des valeurs, c’est à dire pour « redéfinir ce qui vaut le plus pour le plus grand nombre », tel un autre éventail des revenus grâce à une autre fiscalité « redistributive ». Cela signifie, écrit Patrick Braibant, dans ses lettres aux anticapitalistes, que « le renversement économiste du capitalisme n’est plus considéré comme l’acte fondateur de la société nouvelle ». La raison démocratique est en effet anticapitaliste d’une autre manière ; elle ne définit pas l’alternative au capitalisme en revendiquant son simple contraire ; elle donne la possibilité à tous de pouvoir s’interroger sur les questions, qui les concernent. Mais précisons cette proposition ; P Braibant propose 2 orientations : « (1) s’approprier comme étant « politique » ce qui, dans l’économie, est décrété aujourd’hui purement économique ; ainsi, le partage du temps de travail n’est pas qu’une question économique ; c’est une condition pour « disposer d’un Temps pour la politique ». (2) politiser dans l’économie ce qui est indispensable à la politique pour agir sur le social ; ainsi, en s’interrogeant sur le « Que produire ? », l’on est amené à se poser des questions sur la nécessité de biens ou de services, qui permettent la réalisation de la démocratie ; et l’on s’aperçoit alors que ces biens et services doivent être produits pour que tous y aient accès dans les mêmes conditions ». La liste de ces biens et services est définie à partir de la question suivante : de quoi un citoyen a t’il besoin ? Il a besoin de l’eau, de l’énergie, des transports, de l’éducation, de la santé ; parfois, il faut défendre ces services ou les rétablir en les démocratisant dans leurs missions et leur gestion ; mais il faut aussi élargir ces biens et services pour parvenir à l’égalité de tous; ainsi, logement et cadre de vie, biens culturels, information, formation civique continue, et Temps pour la Démocratie deviennent des biens à conquérir, parce qu’ils sont nécessaires à la vie ; une fois acquis, ces biens sont gérés par la puissance publique, les salariés et les usagers. Et l’on peut élargir cette création de biens et services à d’autres secteurs de l’économie selon le principe du « mitage », consistant à amplifier l’extension, dans le tissu économique dominé par le capitalisme, d’une multitude de formes de production, d’échanges, de circuits financiers, qu’on appelle aujourd’hui « alternatifs ». C’est ainsi que la démocratie peut primer sur l’économie.
- (2) tout changement ne peut qu’être mondial. Sud et Nord doivent donc y penser ensemble. Et si, jusqu’à présent, les Forums Mondiaux se sont toujours refusés à « avancer des propositions » de peur d’opposer les intérêts des uns à ceux des autres, il faudra bien, après plusieurs années d’expériences du dialogue, penser « global » ; ainsi, ne peut-on pas se mettre d’accord sur quelques propositions concrètes : (a) reconnaître aux pays moins développés le droit de protéger leurs activités vitales (cultures vivrières ou industries naissantes) ; (b) réguler le commerce international de façon à éviter la spirale vers le bas des salaires et des systèmes de protection sociale .
- (3) tout engagement citoyen doit poser comme principe d’action le lien entre « global » et « local » : l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) nous paraît une institution lointaine, sans rapport avec nos préoccupations immédiates et locales ; et, pourtant, en étendant dans tous domaines le principe de supériorité du commerce à la loi des instances publiques élues, qu’elles soient nationales ou locales, elle atteint directement tout citoyen du monde dans sa vie quotidienne : c’est en raison des subventions des pays du Nord à leurs agriculteurs, notamment aux EU et dans l’UE, que les prix à l’exportation deviennent si bas qu’ils concurrencent sans possibilité de défense les cultures vivrières, qui font vivre des millions de paysans du Sud contraints à la faillite et à l’exil, intérieur d’abord, puis vers l’étranger ; c’est en raison de la volonté de l’OMC d’imposer le libre-échange des services, qui encadrent toutes les activités humaines, que tous les services publics, marchands et non-marchands par nature, sont menacés et disparaissent progressivement au profit de la sphère marchande ; et l’on en voit les conséquences planétaires en termes d’instruction, de santé et d’emploi de plus en plus précarisé ; réagir à cette logique, c’est poser, dès le « local » et en se solidarisant avec d’autres collectivités, des règles défendant des principes et des valeurs d’égalité et de solidarité, l’accès de tous aux décisions étant le garant du respect de ces valeurs ; c’est cette modalité d’approche des problèmes qui fonde une démocratie communale participative disposant de budgets spécifiques permettant de satisfaire des services de proximité fondés sur les besoins des citoyens (eau, assainissement, logement, communication, insertion des personnes âgées et handicapées, création d’emplois de services …). C’est le sens de la Charte européenne de l’autonomie locale signée à Barcelone le 17 Octobre 1998 par les villes ayant participé à la Conférence européenne des villes pour les droits de l’homme visant à l’amélioration de l’espace public collectif pour tous les citoyens sans distinction d’aucune sorte .- (4) et, pour y parvenir, l’on ne pourra pas éviter l’engagement politique et syndical des citoyens et des coordinations Nord Sud ; à ce titre, il faut exiger, au Nord comme au Sud, les respect des droits syndicaux et la hausse des salaires chez les sous-traitants, ce qui diminuera l’enthousiasme patronal pour les délocalisations.
- (5) l’on remarquera que, quelles que soit l’ampleur que ces changements permettent d’envisager, ils ne nécessitent pas, pour être appliqués, une stratégie révolutionnaire mais l’engagement de citoyens dans une démocratie participative, parfois individuelle, parfois collective ; et pourtant ils remettent en cause des institutions centrales du capitalisme : le despotisme dans l’entreprise , la liberté (pour le capital) de gérer la main d’œuvre et de faire régner chômage et précarité, la liberté pour le capital de circuler et de s’investir où il l’entend .
Enfin, il est clair que notre rôle « d’éducation populaire » est plus que jamais justifié : la plupart des citoyens ignorent ce qui nous amène à la situation politique présente ; ils ne voient que la distance entre les politiques conduites à « droite » comme « à gauche » et leurs attentes ; « Consensus de Washington, qui rallie toutes les politiques, connais pas » ; c’est pourtant lui qui détermine partout les baisses d’impôts, les réformes des régimes de retraite, les atteintes aux droits du travail, là où ils existent, la lutte exclusive contre une lancinante et imaginaire « inflation » et les déficits publics par la BCE, qui interdit tout investissement qui, par de grands chantiers d’utilité sociale, créerait de l’emploi ; alors, ils s’abstiennent et massivement (surtout dans les milieux populaires), jouant ainsi contre leur camp ; et, s’ils votent, ils « se tirent une balle dans le pied » en choisissant des candidats dits « sécuritaires », qui sont précisément des «néo libéraux » et ne font que les enfoncer dans le cercle des conséquences de leur stratégie, en matière d’immigration par exemple; il suffit de connaître le programme de Le Pen, qui veut supprimer l’impôt sur le revenu, avec toutes les conséquences que cela entraînerait en matière de fin de solidarité, pour le comprendre… Leur atout est, au contraire, l’engagement dans l’entreprise et la consommation vers d’autres formes d’activités liées aux « économies alternatives », en s’organisant en coopératives autogérées et en utilisant ou en inventant des formes diverses d’économie solidaire ; leurs engagements doivent ensuite être accompagnés par leurs votes dans la société civile, dans les partis et les syndicats pour influer sur les appareils, contrôler les orientations et les refuser si elles accompagnent la pensée unique ; ils peuvent aussi exiger ainsi l’unité « partidaire » d’une vraie gauche sur de vraies orientations sociales et mondiales. Ce sont donc ces milieux qu’il faut toucher dans l’action sociale et par une information la plus simple mais la plus complète possible.
En conclusion : Primauté de la raison démocratique sur la raison économique, engagement citoyen qui relie toujours le « mondial » au « local » ainsi que les problèmes du Nord en même temps que ceux du Sud, engagements indispensables dans le syndical et le politique, stratégie qui peut passer par des réformes successives mais toujours mondialement coordonnées et fondées sur la démocratie participative, qui s’ajoute à la démocratie élective. C’est à ce prix que de vraies perspectives permettront à la fois l’émancipation des individus vers plus de citoyenneté et la transformation sociale en profondeur.
Albert Richez, Membre du Conseil Scientifique d’ATTAC.
Notes :
Bouclier fiscal pour les plus fortunés, intérêts d’emprunt sur l’immobilier déduits de l’impôt pendant 5 ans pour faciliter la constitution d’une société de propriétaires, quasi suppression de l’impôt sur la fortune, exonération des charges sociales et fiscales des heures supplémentaires afin que « ceux qui travaillent plus gagnent plus ».
Cf L’homme économique ; essai sur les racines du néolibéralisme, par Christian Laval, Gallimard, 2007..
On estime, de source sûre, à 8% la proportion des syndiqués en France, en cumulant les secteurs publics et privés
Le Consensus de Washington c’est : moins d’Etat économique et plus d’Etat sécuritaire, ce qui entraîne la baisse de la fiscalité directe et progressive ainsi que la privatisation des Services Publics ; l’extension du chômage, qui va de pair avec la lutte contre les syndicats ; les politiques désinflationnistes systématiques, qui s’opposent à la relance de l’investissement, de l’emploi et de la consommation.
cf le discours de Dakar du Président Sarkozy.
Cf « Démocratie contre capitalisme » de Thomas Coutrot, aux éditions « La Dispute ».
cf le même ouvrage de T Coutrot pour les coopératives ouvrières autogérées, au Brésil, p 136, 140 à 143 et en Argentine, p 145 ; pour plus de renseignements sur les coopératives ouvrières de production, p 148 ; pour la critique de l’autogestion, p 216 ; pour l’expérience yougoslave, voir p 157 ; pour les objectifs du PSU et de la CFDT dans les années 70, voir p 158
Cf Yves Salesse, dans « Réformes et révolution. Propositions pour une gauche de gauche », Agone, Marseille, 2001.
Recherche de consensus par approches progressives d’un accord commun, exploration des désaccords pour lever les obstacles à l’incompréhension (Cf l’article de Patrick Viveret, pp 35 et sq dans « Quelle démocratie voulons nous ? », ouvrage collectif sous la direction d’Alain Caillé, La Découverte, Paris, 2006), conférences citoyennes sur des sujets de société (Exemple de questions à se poser sur les brevets sur le Vivant, sur les OGM, sur la Dette et ses effets sur l’immigration ; la Conférence Citoyenne est une expérience diligentée et expérimentée par le Docteur Testard, le père du bébé éprouvette….), voici quelques pistes, qui pourraient changer le fond et la forme de la politique ainsi que le rapport à l’autorité, celle-ci se construisant à partir de la négociation.
Cf Lettre aux anticapitalistes (et aux autres) sur la démocratie, Questions contemporaines, L’Harmattan, 2004, Paris, de Patrick Braibant.
Introduction de la CNCL du 2 Février 2008 par le nouveau groupe « démocratie » sur la question des retraites : Construire la question des retraites comme question démocratique:
Groupe « démocratie » d'Attac (T Coutrot, D Brisbourg) ; (introduction à l'atelier de la CNCL du 2-3 février 2008) :
A partir d'avril va s'engager un débat sur la réforme des retraites. Le gouvernement a déjà annoncé son intention d'allonger à 41 puis 42 ans pour tous les régimes la durée de cotisation pour la retraite à taux plein. La plupart des syndicats ont annoncé leur opposition à ce projet, ainsi que la gauche politique. Sarkozy va faire voter la réforme en expliquant que c'était dans son programme et qu'il a donc été mandaté par les électeurs pour ça. Même si l'opinion publique se montre largement hostile au projet.
Une nouvelle fois, comme lors de la ratification du traité européen, pourrait apparaître en pleine lumière les carences démocratiques de notre système représentatif. Comme dans l'affaire du référendum sur le traité, Attac pourrait à cette occasion s'employer explicitement et avec force à construire la question des retraites comme question démocratique.
Construire la question des retraites comme une question démocratique c'est d'abord affirmer avec force qu’il s’agit d’une question politique majeure, pas une question "technique". Il faut aussi dire ce que cela implique : une question politique majeure est une "affaire de tous". Or, dans un pays ou le peuple est déclaré souverain une telle affaire de tous doit être traitée (débattue et décidée) par tous. L'argumentation utilisée pour exiger un référendum sur le traité de Lisbonne doit prévaloir ici aussi.
Cela implique qu'Attac s'emploie à constituer la question des retraites comme question publiquement discutable, c'est-à-dire :
1) montrer la nécessité de la traiter aujourd'hui : le vieillissement de la population exige de consacrer une part plus grande de la richesse nationale aux classes d'âge sorties de la "population active": comment faire ?
2) montrer que c'est une question ouverte susceptible de choix, c'est-à-dire susceptible de recevoir plusieurs réponses : il n'y a pas de "pensée unique" en matière de retraites. Donc présenter les différentes options possibles : allongement de la durée de vie active, décotes, indexation sur les prix et non les salaires, mais aussi à l'inverse augmentation des cotisations ou prélèvement sur les revenus financiers, reconnaissance de droits pour les femmes, les précaires, les chômeurs non indemnisés, le travail pénible, revalorisation du minimum vieillesse...
3) Démontrer le caractère antidémocratique de la réforme proposée :
- les instances supposées organiser la concertation sociale (ex. le COR, Comité d'orientation des retraites) cherchent à convaincre de l'inéluctabilité des réformes néolibérales au lieu de mettre en évidence la pluralité des choix possibles
- 90% des médias vont continuer leur "pédagogie de la réforme"
- les citoyens seront réduits à des "sondés" atomisés et manipulés par les questions qu'on leur pose, et n'auront pas voix au chapitre
- les organisations syndicales représentatives des salariés seront réduites au rang de comparses ou de critiques impuissants
- l'UMP va voter la loi au nom du "Sarkozy l'avait dit pendant la campagne, les électeurs sont donc forcément d'accord.
4) montrer que la pluralité de réponses possibles renvoie à des choix de sociétés : donner telle réponse à la question des retraites plutôt que telle autre, cela met en jeu la manière dont nous voulons faire société.
Du fait de l'horizon temporel pris en compte dans cette réforme, il s'agit en effet d'une décision qui engage le modèle de développement des décennies à venir:
– sur la répartition des richesses (paupérisation et explosion des inégalités chez les personnes âgées, financiarisation des systèmes de pension), ça on l'a déjà montré et il faut le rappeler,
– mais aussi sur la question du productivisme (l'allongement de la durée de cotisation, c'est 'travailler plus pour gagner autant' (voire moins): c'est entériner la renonciation à la réduction du temps de travail, c'est accepter que pour les décennies à venir les gains de productivité servent à produire et consommer plus au lieu de gagner du temps pour vivre et préserver la planète);
– sur la question des rapports de genre (les réformes imposées renforcent la dépendance des femmes vis-à-vis des hommes, en réduisant le niveau relatif de leurs retraites)
5) présenter les réponses propres d'Attac en faisant apparaître avec netteté le choix de société sous-jacent.
6) montrer que ce ne sont pas seulement les réponses à la question des retraites qui engagent un choix de société. C'est aussi la manière de la traiter. En clair : la traiter démocratiquement ou non est un choix de société majeur. Le choix de société n'est pas seulement dans le contenu de la politique à entreprendre (faire telle politique des retraites plutôt que telle autre) il est aussi et tout autant dans le "qui décide?" Il y a là un principe général qui dépasse largement le cadre de la question des retraites et qui est le cœur même de la question démocratique. Le groupe "démocratie" voudrait faire partager cette idée qu'il est décisif pour Attac de toujours lier la question des contenus alternatifs à celle de l'appropriation de la politique par le grand nombre.
7) S'atteler à la recherche des importantes innovations institutionnelles exigées par un processus vraiment démocratique de traitement de la question des retraites et de tout autre choix de société de cette ampleur. L'article 11 de la Constitution de la Véme République, jamais appliqué sur ce point, prévoit la possibilité du recours au référendum pour les "réformes économiques et sociales de la Nation et les services publics qui y concourent". C'est une voie qu'il ne faut certes pas négliger mais qui présente de sérieuses limites : la tenue d'un tel référendum dépend du seul bon vouloir du Président et ne permet aux citoyens de se prononcer que sur un projet d'origine gouvernementale. Il faut donc faire preuve d'imagination.
8) Faire des propositions s'adressant à toutes les forces politiques, syndicales, associatives susceptibles d'être intéressées, pour l'organisation d'un vaste débat dans la société sur la question des retraites et sur les moyens de la traiter démocratiquement. Débat organisé de telle sorte qu'un nombre conséquent de "simples" citoyens soient encouragés à y participer. On pourrait par exemple proposer un "Comité d'animation du débat sur les retraites" qui organiserait des débats avec les syndicats, associations et experts, et formulerait (par exemple à l'aide d'une conférence de citoyens) deux ou trois scénarios alternatifs de réforme des retraites; multiplier nous-mêmes les réunions avec débats dans les localités; exiger un respect de l'égalité d'accès aux médias... Bref, créer un espace public démocratique sur la question des retraites.
On se heurtera bien sûr à l'inertie des forces politiques et médiatiques qui dominent l'espace public "officiel" pour organiser un tel débat. Cela risque d'ailleurs de bousculer quelques habitudes dans le camp "progressiste" lui-même : en particulier celles des syndicats qui sont traditionnellement les seuls interlocuteurs du gouvernement sur la question des réformes sociales... Mais chacun doit être conscient qu'en restant dans le schéma représentatif traditionnel il sera très difficile d'obtenir un retrait du projet – à moins d'un mouvement social supérieur à celui de 2003, et équivalent à celui du CPE. Précisément la constitution de cet espace public démocratique sur les retraites est probablement une excellente manière de favoriser la mobilisation sociale.
Cf opus cité de Thomas Coutrot, p 226
Pour les droits nouveaux à acquérir dans l’entreprise, voir l’ouvrage cité de Thomas Coutrot, p 168 ; sur la nécessité de passer au contrôle citoyen de l’entreprise, même ouvrage, p 171 ; pour savoir ce que les lois Auroux ont apporté, même ouvrage, p 161.
Cf opus cité de Thomas Coutrot, p 227
cf opus cité de Thomas Coutrot p 40 : en ce qui concerne « les taux de participation aux élections législatives entre le début des années 50 et le milieu des années 80 : la France a perdu 19 points, les Etats Unis 16 points, la Japon 15, le Royaume Uni 11 … les seuls pays connaissant une progression étant la Suède et le Danemark. Pire encore : partout où l’abstention s’accroît, elle le fait davantage dans les classes populaires que dans les classes moyennes et supérieures. Le suffrage redevient censitaire de facto… »
Cf, aux éditions des Mille et une Nuits, la 3° Annexe « d’Agir Local, penser global ».
dimanche 23 décembre 2007
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